Il disait : crier fait des trous dans le noir. Jette des mots devant toi.
Condamné, creuse jusqu'au bout de ta soif.
Lumière rejaillie, sauve-toi par l'écriture.
Fantassin de l'imaginaire, athlète, passeur de l'impossible, la terre
tremble neuve sous ton pied. Creuseur de l'inouï. Marginal qui force
le secret et lâche naïvement dans l'avenir deux ou trois mots de vie.
Implacable, la poésie te mange le c'ur et, d'un coup, le rejette sur
la feuille : splaches de couleurs, sperme, crachats d'étoiles, une
main, dans le feu, ma main te disant : j'y suis depuis le début de
ma solitude, j'y suis depuis cette mort, là-bas, qui m'a exilé de la
vraie vie.
J'entendais de travers ma parole.
Capte au bond l'infrangible instant, et ne donne à tes mots ni but
ni frontière.
Outre-mesure, laisser danser la vivante pulsion.
Je le vois sortir d'une forêt, grosses mains si délicates pour cueillir
des groseilles ou des framboises, voix frustre, avec une branche
écrivant sur la terre battue, hors et de toutes les modernités, un
texte de toujours. Il n'a pas ouï-dire de Paris ni de Manhattan, ni de
la banalité du quotidien. Il est un alambic, une pile électrique, un
synthétiseur polyphonique. Il est un accident, et sans fils,
souverainement seul. Il apparaît, cassant l'écale de ce qui veut
naître, et sa main avec douceur pose le signe et le frisson. 'il
d'au-delà, il est une effraction. Il est la vie prise en flagrant délit de
créer.
Elle est retrouvée.
Quoi? ' L'éternité.
Dans le mortel des heures, minoritaire, surnuméraire, il ne signifie
que de s'inventer, il ne vit qu'au fil des métamorphoses.
Tire du langage des éclats de possibles. Imagine une écriture pour
tous.
Par bourrasques, des jets de sons neufs me traversent les nerfs.
Le soleil se fraye des chemins dans le bulbe de mes phonèmes.
Plumes, corne, varechs ' obliquement j'établis des connections,
j'amalgame des devenirs, et, jusqu'au plus clair de l'or, la flamme
mêle en moi l'ocre, le bleu, l'écarlate. Dans la chimie de quelques
syllabes, j'écoute un monde commencer.
Langage d'enfance, îlots de sacré, sous mes doigts quoi tremble
farouche déjà brille de l'autre côté de la feuille?
Dans le creuset du texte, à travers les mystérieux rayons, viens
palper ton c'ur qui se fait. Parle proche et brut. Si cela n'a pas de
mots, grogne ou griffonne : a, o, u, un, cinq ou neuf, du limon et de
l'aurore, du gris, du rouge, du rouge ô très tendre. Descends par
cette fissure en toi et dans la ligne de l'horizon : là, en vrac, chairs
d'ours, morves d'astres, nerfs d'arbre frottés cordes d'un violon, torse,
luminescentes autoroutes s'entrecroisant radars ou fusées,
encéphalogrammes, télématiques reportages hors et de toutes les
avant-gardes, brouillons du futur sans grammaire que la fièvre du sang,
sans vérité que cette émotion qui te redonne ton corps.
À coups de sang, par mottons d'émotions, je me déterre. En chaque
mot, en chaque être, je m'invente, sans fin, je m'adviens. Pieds nus
dans l'éphémère, je trace quelques signes de ma vie. J'écris pour
devenir ce que je suis depuis toujours, et j'imagine ce que je ne
connais pas encore.
Parmi les codes et les pièges, il disait : oppose à celui-ci un monde
vivant, donne à l'homme un monde habitable.
Dans l'ouvert, tente un langage neuf.
Et, sous l'écume des mutations, dévoyé, voyant, le forçat qui scintille
de tendresse, ses yeux tout au bout du fusil, creuseur sans repos de
l'origine, violeur du divin parmi les orties et les complots portant de la
vie jusqu'à vous ' moi, à découvert, ma chair qui tremble, le c'ur par
deux ou trois rêves déchiré.
En cible, sous crible, ouvre jusqu'au bout ta blessure. Dis le noir
étonnement de vivre.
Poésie qui me garde dans le souffle du feu. Poésie qui m'amène au
c'ur infini de moi-même. Dans la férocité du frisson, désordonnant les
formes, et les normes, et la myope morale, à contre-courant j'avance
dans l'envers de mes mots. Nord sud d'un même point, je fais des sauts
dans le chronologique, je trafique les notions, je dérègle les causes et les
effets. Fraudant le bon sens, j'accélère ma vie et d'un tour de phrase je
bondis dans le simultané.
Contrebandier de l'espoir, hors de la tragique saison il jaillit, instant sans
rive ni mort.
C'est une espèce d'autre vie en raccourci.
De tous bords en lui le monde vient se faire parole. Chaque chose dans
ses mots appelle son foudroiement et sa splendeur. Pirate du bonheur, il
devient la vision qui l'ouvre à tous les désirs, à toutes les fêtes. Dans
l'incessant devenir, créateur du réel, il rythme l'inépuisable énergie.
Singulier et de toutes les formes, on le rêve dans l'infini de la matière.
Rauque, rêche, elle chantait : don't let go in the killing hour.
Chevalier du soleil, balafre resplendie sur son front, il ne sait plus revenir
de ce côté-ci, dans le projet permis, dans le devoir et les schémas, triste
musée de l'histoire. Poitrine offerte, il est dans le sans limites, et ses gestes
et ses mots sont barrés de trois X. ' Est-ce fête d'un dieu que personne ne
pardonne? ' En marge, seul, sans famille que des frères, il est un aimant où
crépitent des bruits d'inouï. Il est la guitare battue de la vie. Il est cette note
tendue à l'extrême, et par tremblements ses doigts glissent dans les
pubescences nocturnes, et, son plaisir ameutant le plaisir de la foule, sur les
fils électriques et les mellotrons, il jouit ' pictogrammes d'âme, sonographes
de l'origine.
Scandaleux sans savoir pourquoi.
Dans le rouge de la loi, entre les lignes, il apparaît. Il ne peut qu'apparaître.
Il est sans traces, ni déploiements biographiques, ni paternelles références.
Insaisissable, il danse, ne s'inclinant que devant la force du désir. Bourreau
du merveilleux, forcené travailleur du neuf, il fait surgir de la pierre des flotilles
de barques et de chevaux, alors que s'ouvrent dans ses yeux des allées très
profondes. Entre le ciel et le gouffre, fraternel, il rescape des fragments d'enfance
et loin, très loin après la tempête, ses mots vont nidifier dans les friches et le
sordide.
Autre infiniment, de chaque vie il prend naissance. Il s'engendre fils de lui-même.
Homme-femme d'aurore. Radiant corps de l'instant.
Il est dans ce nuage qui passe une décharge électrique. Il est une tache de
naissance sur la poitrine du soleil. Laser en délire, tout son corps est un tatouage
de feu, et sans passeport, ni sauf-conduit désormais vers les compromis et la
mélancolique abstraction. Corps en gage de son langage, il jaillit météore, archipel.
Sous quelles musiques parmi tes lèvres ce réel sans bords jamais ni l'insulte de
mourir?
Dans le prisme de mes sens, inachevable, je trace le vol spiralé du sang. Brouillant
les codes, déraillant le binaire, je creuse et je goûte, et le vent d'est vient attiser
mes mots dans le noir. Sous les dards de l'émotion, nouveau, j'avance, j'expérimente.
Devant moi, une source s'ébranle et bondit ' cellules, palme, atomes, sans fin je
commence. Emmêlant dans le mien l'incessant désir de la matière, masculin, féminin,
je trame, j'image, et, bouche vers l'autre bouche, c'est la surprise d'un mot à côté d'un
autre mot, et, d'un coup, l'abrupte harmonie, d'un coup l'éclatante morsure du plaisir.
Viens, embarque dans le frisson. Déplie un à un tes phantasmes. Démusèle la multiple
jouissance.
Or nu du corps, fais de l'instant le langage de l'immortel.
Éclats de nerfs, mes mots sont des lance-flammes. Toutes mes noces sont nées du
hasard. J'avance, sans fin, je m'éveille. Par congées d'odeurs, en traînées de braises,
je soulève du brut, je lève d'incompréhensibles formes. De mes deux mains j'écarte du
noir et je renifle, j'écoute m'envahir la vaste unité. Jumeau, et sans finir, je tiens tes yeux
dans la jeune lumière. Et si parfois des volées d'oiseaux gris et bruns déplacent mon c'ur
dans l'infini du ciel, si des fois mes mains font de l'ombre sur la terre, c'est pour le plaisir
qui te prend de créer à ton tour le rouge, et l'or, et le merveilleux orage.
Sur ton corps j'écris le mot de l'émotion. Je transcris d'une autre vie les naïfs cardiogrammes.
Et pêle-mêle scintillent dans les sursauts de ma langue des hybridités de gènes, des moirures
d'hyades ' topographies de villes futures ou graffitis d'éclairs ' et des neutrons qui se dissolvent
dans le vif-argent du sang, et de très belles terrasses donnant sur la mer, et des nuques où
naître sans fin, et des pièges de désespoir, et le tragique échec du biologique, et des erreurs
nécessaires, et des illusions qu'ici j'écrase, et là, ému, mon pied qui trébuche sur des germes
de vie. Des fois aussi c'est plein de sanglots dans ma poitrine barrée.
Je suis estropié pour toute ma vie.
... c'est l'éternité que je t'offre; prends-là!
Mon corps brille dans une grappe d'images. Intermittent et non rompu, je tends la main, j'ouvre
circuits à vif ma phrase.
Par le câble des souterrains, d'un instant à l'autre, d'un corps au désir de cet autre corps, je
vais forgeant le c'ur du monde. Je me rappelle et je m'invente dans deux ou trois mots. Par de
mobiles paradigmes, j'essaie dans les vôtes mon rêve et ma vie. Au son de la triple flûte, bien
avant l'aube, j'assemble un peuple d'orphelins.
Il disait encore : à même ton souffle, et de tous les sexes, transmets de la présence, et que
le sens ne soit qu'une émotion.
Branché sur l'univers, fusante énergie, efface le scandale de la mort.
Corps-phénix, il est seul, sans ancêtres ni descendances. D'un bloc, il traverse son langage,
il épuise ses expériences. Il est une tempête et une ivresse. Rêve rebelle, il a le visage d'écorce
et de source de son pays. Il a le mystère de la simplicité et l'insupportable beauté de son destin.
Dans l'absolu de l'instant, il est la passion qui dévaste et refait le c'ur. Il est l'excès qui seul révèle.
À l'orée de la forêt, parmi des ellipses de flammes, il apparaît, diamantaire origine.
Vraie vie dans celle-ci, obstiné, il multiplie l'ardente étincelle. À travers son corps, il imagine une
autre humanité.
Sa voix dans ma voix, elle murmurait : remonte jusqu'à l''uf la double pulsion. Un, et à même ta
différence, adviens dans la musique de l'universel.
Dans l'épreuve du songe, à même sa chair, il dédouane l'or de la parole. De plaisir vers l'autre, dans
l'autre, sous les coups du sang il s'innocente. Avec une fine branche de mots écartant de l'horizon
le tournoyant malheur, il fait se lever d'étranges planètes, et c'est le vent qui ordonne l'éclat de ses
fêtes. Toute sa chair est un écran où pétillent des bribes de sacré. Il est une constellation. Il est une
enfance dans le temps toujours vert. Hors des servitudes et des vides idéals, libre, il défatalise le
c'ur de l'homme ' toi, dans la splendeur de l'animal, rythmique, halant du frisson le son premier.
Mes mots font des trous dans le noir. On me dit dans l'infini de la vie.
Sous le jet du feu, transitif, je décentre, et j'égare. J'occasionne des déviations de chemins, des
tremblements de corps. Tirant de chaque mot des cris de naissance, je joue des crimes à l'organisé
et au déterminé. Je provoque des accidents de bonheur. Et dans la douceur de l'air c'est d'un désir
encore sans nom que ma main entre dans le frémissement de cette autre main. Et par trois, et par
neuf, flamme esclaffée, le sang prend son élan et sa démesure.
Viens, entre, et ne donne aucune couleur fixe à tes yeux ni au désir de ta main, ni genre ni limite à
ce plaisir parmi tes lèvres étonnées. Flambant ta vie, ruisselle, métamorphique.
Outre-sens, spirale d'instants, il danse.
Corsaire-poète, sourcier, innocent criminel, et cette vie inconnue qui palpite sous tes pas traqués,
et la caresse qui se cache dans ton poing bourru, creuse jusqu'au bout de ta solitude, touche réel
ton rêve. Avec ta lumineuse infirmité, hors du triste humain, singulier laisse ton chant s'émettre
immémorial révélé ' et sans explication.
Dans la marge, seule terre vivante, damné, sauvé, fais surgir des infinis de possibles, ne dis que de
la vie, et en vrac ' étoiles exclamées sur ta poitrine.
Parlant de tous les temps et à tous les temps, dans l'émotion qui rapatrie, dis seulement l'O ivre de vivre.